Extraits
du journal de GILARDI
artisan sculpteur de la Valsesia
à la recherche dun travail en Savoie - XIXeme siècle
Ce journal
couvre la période 1809-1848, il est certes postérieur à la
période baroque mais il donne des renseignements précieux sur
la formation, sur les techniques utilisées par les artistes, sur
leurs valeurs;
cest tout un mode de vie qui apparaît dans ce journal qui
sinscrit dans la durée et qui est déjà en vigueur au
XVII e siècle.
Ce journal nous montre :
Des artistes de condition très modeste :
Les artistes de nos vallées de montagne viennent de milieux montagnards pauvres et pour survivre, ils ont dû parfois sexpatrier, mener une vie itinérante.
Les artistes nont pas une grande formation : Ils ont appris le métier au contact du père qui leur transmet les secrets de fabrication et ils les transmettront à leur tour à leurs fils. Cette stratégie conduit à la formation de véritables dynasties familiales comme celle au XVIIe des Clappier de Bessans qui ont construit de nombreuses églises en Maurienne ou celle des Gilardi de la Val Sesia. Etienne Fodéré, de Bessans né en 1649, daprès la tradition, a appris le métier avec Antoine Clappier à condition de sexpatrier à Bourg -Saint-Maurice pour éviter la concurrence.
Les artistes nont pas une grande place dans la hiérarchie sociale : le sculpteur exécute des tâches très diverses, il sculpte, restaure, peint. Il doit monter sur des échafaudages, se salir en appliquant des couleurs, exécuter parfois de menus travaux. et rien nest jamais gagné, il sagit de montrer son habileté en exécutant des dessins pour obtenir du travail, la vie est un combat permanent et elle est rude. La solidarité reste importante dans la famille.
Des artistes qui travaillent pour les églises catholiques :
Gilardi se présente comme un artiste chrétien qui assiste régulièrement aux offices, il traite ses affaires avec les curés ou les évêques qui lui passent commande.
Le clergé apparaît comme son commanditaire. La circulation des artistes artisans de part et dautre des Monts et donc la pénétration des influences venues dItalie.
Ce journal permet de comprendre aussi en partie lunité dornementation de ces églises, elle sexplique par la divulgation du savoir-faire liée à la circulation des artistes, à lexistence de réseaux familiaux et à des solidarités de voisinage.
Extraits du journal
Moi, Gilardi André de feu Jean, je suis né en 1797, le 30 novembre dans cette commune de Campertogno, arrondissement de Varallo (1) [ ] C'est là que se sont passées mes années d'enfance et de jeunesse jusqu'à l'âge de 12 ans.
Au début de 1809, nous sommes partis sur la fin de Carnaval avec comme bagages, 4 chemises, 2 paires de caleçons, 2 paires de chaussettes, 2 essuie-mains, 12 ciseaux à bois et dautres petits outils. Je suis parti avec mon père et mon cousin Gilardi Jacques [ ...]
Nous sommes partis pour le Petit Saint Bernard. Nous avons du y dormir sous les lauzes, dans le foin, avec une misérable couverture. Le matin suivant, on voyait le ciel entre les lauzes du toit. Partis ce matin là, nous sommes arrivés jusqu'à Albertville où nous avons trouvé beaucoup de compatriotes (2)[...].
Nous sommes allés à Queige où nous avons redoré lautel majeur. [ ] En 1911, nous rentrâmes à la maison pour y passer lhiver. [ ] Lhiver passé, venait le printemps, moment du départ. [ ] Nous sillonnâmes les routes à la recherche dun travail. [ ] A Saint Gervais, le curé nous fait le meilleur accueil.
Nous lui avons tracé un dessin, doù lon pouvait bien se rendre compte de ce quon est capable de faire. [ ] Nous sommes partis vers Noël. [ .]Nous sommes allés chez loncle [ ], il me dit que mon père avait fait quelques dettes.
Aussitôt, je lui en ai donné le paiement. [ ]. Je suis retourné à Novalaise en 1822[...] je logeai au couvent [ ]Comme le travail était insuffisant pour la campagne suivante, je suis parti en prospection en Tarentaise par Peisey [ ] où M. le Curé ma accueilli gentiment et il ma fait un contrat pour redorer le maître autel, un travail compliqué où il y avait 60 figures. [ ] Pour les comptes, nous avions un carnet pour largent que nous avions reçu, un autre pour les dépenses personnelles. Arrivés à la maison, nous avons remis ce carnet à M. lOncle. Cest lui qui a fait le calcul de tout, de 1825 jusquà la fin de 1828.
Nous avions fait des travaux pour la somme de 14 000 livres. Nous en avions dépensé 10 000. Le reste 4 000 livres, nous lavions mis en caisse, cela ne faisait pas bien gras. Pourtant, nous navions aucune compagnie [...] nous ne faisions que travailler et étudier, nous étions assidus aux offices religieux.
Nous allions seulement, le samedi après manger, boire une bouteille à lhôtel. Puis, continuation de lhoraire : lever, 4 h1/2 ; vers 5 h, travail ; dîner à midi, puis travail à nouveau jusquà 8 h du soir, coucher à 9 h (3)Mon frère allait tous les ans passer environ 3 ou 4 mois à la maison, en y portant le gain. La mère cousait lor dans sa ceinture (4) [ ]
Traduit en Français par lAbbé J. Plassiard en 1979
Notes
1 - La Valsesia est une petite vallée
sinueuse, située au pied du Mont Rose entre Turin et Milan, elle
correspond au cours supérieur de la Sesia qui baigne de petites
villes comme Varallo.
Il sagit dune vallée agricole et pastorale pauvre,
qui dès le XVIe valorise un savoir-faire dans le domaine de la
sculpture et qui compte beaucoup dartistes itinérants.
Cette vallée possède un ensemble étonnant : le Sacro Monte de
Varallo depuis la fin du xve, cest- à dire une
reconstitution en 11 chapelles des lieux saints.
Cet ensemble constitue un chantier permanent auprès duquel se
sont formées des générations dartistes.
2 - Le trajet pour se rendre de Varallo
jusquen Savoie actuelle est long, 250 km environ pour aller
jusquà Albertville et le voyage à lépoque se fait
à pied, Gilardi le mentionne plusieurs fois dans son
journal.
Cest dangereux aussi, il faut franchir plusieurs cols à
haute altitude dont le Petit Saint-Bernard, chutes de pierre
possibles, avalanches. Gilardi, ne précise pas la durée
du trajet mais les étapes paraissent fort longues.
3 - Daprès un extrait du journal, la nourriture était frugale : "Notre menu habituel était fixe, toujours de la polenta.".
4 - Les voyageurs portaient à même la peau une ceinture garnie de petites pochettes dans lesquelles ils mettaient leurs pièces dor ou dargent pour éviter dêtre détroussés dans leur sommeil.
Reçu du 9 mars 1682 signé par le
sculpteur
du retable de léglise de Valloire
Ce reçu montre limplication des confréries et des fidèles dans la restauration des églises ainsi que le rôle du curé. Au XVIIe, cest lévêque qui recommande la construction du retable à la suite dune visite pastorale, le curé doit alors convaincre ses ouailles de la nécessité de réparer léglise.
Des prix faits sont établis, il sagit dactes notariés passés entre le syndic représentant lassemblée des paroissiens et lartiste. Sur ces actes sont portés, le dessin, le financement, le prix, la date de livraison. Si les paroissiens donnent leur avis, lorientation est quand même celle de léglise. Un rôle important a été joué dans laménagement des églises des vallées des Alpes par Charles Borromée, archevêque du diocèse de Milan.
Ce diocèse très vaste avoisinait le Piémont et donc la Savoie. Ch Borromée, participant actif du Concile de Trente, a consacré son action à lapplication des décrets de ce concile il a beaucoup visité les paroisses et encouragé les prêtres et les paroissiens à reconstruire ces églises devenues trop petites dans un contexte de croissance démographique et à les orner en suivant les instructions publiées dans les Actes de lEglise de Milan. Lart baroque est un art savant, pensé par les élites religieuses, même sil traduit aussi les préoccupations du quotidien des populations ??
Ce reçu montre aussi des sociétés assez riches, qui disposent dun peu dargent : possession dalpages, situation de la Maurienne sur les routes de lItalie ce qui permet aux aubergistes et aux muletiers de prospérer. Turin se trouve seulement à une grande journée de marche de Bessans et beaucoup dhommes vont y travailler lhiver.
Je François
Rymellin, soussigné, confesse avoir eu et reçu de
Révérend Messire Martin, prêtre et théologien et
curé de Valloire, la somme de cent soixante trois florins, trois sols et cest de largent provenu à sçavoir, cent trente neuf florins deux sols de la confrérie du Saint Rosaire et vingt quatre florins de la cueillette de blé des pies uvres, de laquelle somme, je quitte ledit curé du prix fait du retable de léglise de Valloire |
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